Jour 40 : Hello Teacher !

 

Lundi 20 mars :

Quelle semaine incroyable ! Et dire qu’il y a seulement 10 jours je ne savais même pas que j’allais être – pour un temps – professeur d’anglais, je vous raconte tout :

Laissez-moi d’abord vous parler de Camille et Chloé. Elles sont des amies proches d’Adrien (mon fils) avec lesquelles il a étudié le journalisme à Lannion. Ils sont restés très liés depuis. Ces 2 là sont de vraies globe-trotteuses. Quand elles arpentent le monde ce n’est pas pour jouer les touristes mais pour y travailler, y vivre au milieu des locaux, toujours. Toutes les 2 ensemble avec les nomades du désert en Jordanie, Camille avec des paysans en Palestine, ou dans un camp de réfugiés en Grèce, où elle a passé plusieurs mois, et Chloé sillonne en ce moment l’Asie avec son copain en bossant dans des fermes. Ils viennent notamment de passer quelques semaines en Chine, puis en Malaisie tout récemment – et m’ont d’ailleurs donné envie d’y faire un tour. Je connais assez bien Chloé que je vois de temps à autre. D’abord parce que sa ville d’attache est Caen, ensuite parce qu’elle a été colocataire d’Adrien à Lannion, puis en Irlande du Nord, et parce que ces 2 derniers étés, elle a aussi bossé avec lui sur l’exploitation de prunes dans le Lot-et-Garonne. C’est donc en voyant passer un post de Chloé sur Facebook – chose plutôt rare – qui vantait la ferme malaisienne dans laquelle ils venaient de passer un mois, que je me suis souvenue, qu’il y a 2 ans, elle et Camille avaient travaillé comme volontaires dans une école au Cambodge. Qu’elles avaient été transportées par cette expérience. À leur retour, Camille avait même lancé un crowdfunding pour aider l’école à construire une nouvelle classe. J’y avais apporté mon écot parce que leur enthousiasme était communicatif.
Sans même prendre le temps d’une réelle réflexion, j’envoie aussitôt un message à Chloé pour avoir des précisions sur cette école : où est-elle, quelles étaient les conditions ?
Avant mon départ, au début de la préparation de mon voyage, j’avais envisagé l’idée de faire du bénévolat dans une ONG en Asie. Mais j’avais été refroidie par les exigences, notamment en termes de prix où on demandait des sommes importantes que ne me permettent pas mon budget. J’avais aussi été alertée sur des pratiques assez courantes, plus que douteuses, où des enfants sont retirés à leurs familles pour remplir des soit disant orphelinats. Enfin surtout le but de ces organisations qui accueillent des bénévoles à la pelle est souvent uniquement de capter l’argent d’occidentaux en mal d’actions humanitaires. Bref j’ai abandonné l’idée…
Et là, brutalement, elle resurgit. Quand Chloé me répond très rapidement que c’est ici même, autour de Siem Reap, à une quinzaine de kilomètres, j’y vois un signe du destin, je fonce ! Il n’y a pas de hasard… Ce pays me plait, ses habitants aussi, j’ai envie de rencontres et d’immersion.
Je contacte dans la foulée Poeuy, le professeur qui a créé cette école il y a 4 ans. Il me répond rapidement : je suis la bienvenue si je veux rejoindre son école. J’aurai à assurer bénévolement 5h de cours d’anglais par jour. J’y serai logée, dans une chambre seule avec ventilateur et moustiquaire,  salle de bain partagée avec douche, 3 repas khmers par jour (cuisinés par sa femme). Et il me sera demandé en contrepartie 50$ par semaine. Plus que raisonnable ! Banco ! Dès le Samedi, je lui confirme ma venue. Il me propose d’envoyer un tuk-tuk me chercher le dimanche soir mais j’ai déjà réservé ma journée au lac Tonlé Sep. Nous convenons donc que je rejoigne l’école le lundi matin.
Le tuk-tuk vient me chercher à 9h.
Je fais donc mes adieux à la Lovely Family avec qui j’ai passé une semaine bien agréable, et promet à Lea d’y revenir le week-end prochain.

Nous empruntons la highway 6 qui sort de Siem Reap et, au bout d’une quinzaine de kilomètres, nous la quittons pour nous enfoncer sur les chemin de terre rouge de la campagne.

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Quelques minutes plus tard, je découvre la Poeuy Rural School Kindergarten.

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En pleine campagne, en bordure de route, une cour, en terre évidemment, où des chats, des chiens, les poules et leurs poussins, les vaches parfois, vivent leur vie d’animaux au milieu des enfants. Et autour les des bâtiments. Derrière et sur les côtés, des champs.

J’arrive au moment du breaktime (la récréation), Des « hello teacher ! » fusent déjà de tous côtés.

Dès ma descente du tuk-tuk je suis chaleureusement accueillie. D’abord par les 3 volontaires arrivés la veille qui profitent de la pause pour prendre leur petit-déjeuner. Katya, une australienne de Sydney âgée de 26 ans, qui veut donner du sens à sa vie et a donc lâché la carrière de marketing à laquelle elle se destinait pendant ses études, pour voyager utile d’abord à travers l’Asie, et préparer sa reconversion dans le social ou la psychologie. Danny, américain de 24 ans, d’origine vénézulienne, émigré en Floride avec sa maman depuis ses 8 ans, et sa femme, Miriam, 26 ans, américaine du Maine, qui parle couramment espagnol et portugais, et un peu français. Tous les 2 sont professeurs d’espagnol, et, mariés depuis juillet, ils font un tour du monde avec sac-à-dos pendant 6 mois en guise de lune de miel, en essayant d’aller enseigner l’anglais, ou l’espagnol, partout pour enrichir leur expérience. Et avant de retourner dans le Maine où ils ont choisi de vivre, au plus près de la nature, dans le village d’origine de Miriam. Ils semblent bien plus vieux que leur âge, et sont très intéressants tous les 2. Les américains comme on les aime, ouverts, pas arrogants, très cultivés (Miriam est incollable sur la géographie et même l’histoire, de l’europe, de l’Asie, connait très bien les autres cultures que la sienne).

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Puis Poeuy vient se présenter, me fait visiter les lieux et me montre ma chambre.  Autour de la cour, les bâtiments : un avec 1 salle de classe, et une cuisine attenante. Un avec 2 salles de classes. Une maison à étage avec les chambres pour les volontaires – équipées de confortables lits doubles, moustiquaires, ventilateurs, et étagères,  une salle commune – pour prendre les repas, préparer les cours, une pièce appelée bibliothèque – où sont rangés les livres évidemment, mais aussi tout le matériel pour l’école. Derrière la maison, un bloc sanitaires avec 4 salles de bain avec douche (eau froide seulement), lavabo et WC.  Et enfin un bâtiment –  lieu de vie de Poeuy et sa famille ; Samon, sa femme, Siddao, Annet et Anneh, ses 3 filles de 8, 6 et 3 ans, et ses 2 nièces Kimney et Sidda, 12 et 8 ans qui sont là pour 2 ans afin d’aller à l’école, leurs parents étant très pauvres et travaillant 7 jours sur 7 dans un village sans école. Leurs lits sont de simples estrades sur lesquelles ils installent des nattes pour la nuit. Ventilateurs et moustiquaires sont la seule concession à ce que, nous, assimilons à du confort.

Pour ma première journée, Poeuy me propose de passer dans chaque classe et de voir comment ça se passe. Je suis donc spectatrice mais très vite, je sens que je peux être utile et fais travailler un ou deux enfants sur les chiffres.

Cette école, gratuite, dispense uniquement des cours d’anglais, et un peu de chinois, aux enfants de la campagne environnante. Ils vont à l’école khmer apprendre le khmer évidemment, mais aussi les maths et les sciences. Poeuy attache beaucoup d’importance à l’enseignement de l’anglais à ces populations parce qu’il pense – à juste titre sans doute – que la seule possibilité pour ces enfants de sortir de la pauvreté sera d’accéder aux métiers autour des activités touristiques. Principal débouché économique autour de Siem Reap, grâce aux milliers de touristes captés par les Temples d’Angkor. Et du coup, ces enfants sont demandeurs, ils viennent ici de leur propre volonté, par le bouche à oreille. Pas de réelle inscription, juste un engagement moral à venir régulièrement aux cours de leur niveau. Poeuy ne connait, ni ne rencontre jamais leurs parents pour la plupart – sauf ceux qui sont réellement voisins. Il m’expliquera d’ailleurs, que les parents savent à peine que leurs enfants viennent dans cette école, et s’en fichent. C’est même déjà une chance qu’ils les laissent y venir, parce que certains préfèrent que leurs enfants les aident. Certains ne viennent que certains jours dans la semaine. D’un jour sur l’autre nous ne savons pas quels élèves seront là. Certains sont réellement assidus, travaillent chez eux. D’autre viennent plus occasionnellement, n’apportent ni cahier ni stylo. Le soir, nous retrouvons des cahiers roulés dans la poussière de la cour, les stylos écrasés et cassés sont partout. Mais visiblement les enfants aiment venir ici. Tout leur est fourni. L’école a été créée et subsiste sans aides de l’état (même si elle a reçu une habilitation l’année dernière), mais un peu d’aides locales et surtout grâce aux dons et autres campagnes de crowdfunding lancées la plupart du temps par des volontaires. Les volontaires, présents toute l’année, assurent avec Poeuy la plupart des cours. Quelques volontaires locaux aident aussi, notamment Sambath, qui travaille de nuit à l’aéroport de Siem Reap, et vient directement ici ensuite assurer des cours. Il partage nos dîners et fait un peu partie de la famille. Il ne semble rentrer chez lui que pour dormir un peu avant d’aller travailler à 4h du matin.

Ici, les enfants viennent même quand ils n’ont pas de cours : pour retrouver les copains, jouer. Sur chaque tranche horaire, 3 niveaux différents (parce que 3 salles seulement) 3 cours de 8h à 10h le matin, avec 1/2h de pause de 9h à 9h30, (1h1/2 de cours par niveau), puis de 15h à 17h avec 1/2h de pause de 16h à 16h30. Quelques élèves plus avancés ont des cours de grammaire uniquement de 17h à 17h30 ou 18h. Puis derniers cours de 18h à 19h.

Beaucoup arrivent cependant ici dès 7h. Et jouent en attendant la schooltime. Certains sont déposés par les parents en scooter, qui partent travailler. La grande majorité vient en vélo, à 2 par vélo souvent. Les plus âgés, à partir de 13 ou 14 ans sont en scooter. Certains emmènent leurs petits frères ou sœurs avec eux. Agés de 3 ou 4 ans, ils passent une partie de la journée ici. Entrent dans les classes, jouent. Vont et viennent à leur guise. Aucune trace des parents. Et jusqu’à 19h, il y a en permanence des enfants (la nuit tombe vers 18h30). Ils peuvent s’installer et jouer dans les classes s’il n’y a pas de cours.

Le vendredi, c’est vidéo. Seulement une heure de cours et une projection de film le matin, et idem l’après-midi, en anglais toujours, sans sous-titres. Ils sont tous là, sages, silencieux et concentrés (alors qu’ils restent très difficilement en place pendant les cours) Et, bien après la fin des cours, jusqu’à plus de 21h, ils restent là, jouent dans les classes, regardent des films.

Poeuy a de l’autorité sur eux mais tous ces enfants sont un peu les siens, on le sent dans sa façon de leur parler. Ce qui saute d’abord aux yeux c’est à quel point il les aime et veut le meilleur pour eux. Sa vie entière est tournée vers son école qu’il a installée ici, loin de son village d’origine parce que c’était possible ici. C’est dans ce contexte qu’il vit. Avec des volontaires des 4 coins de la planète en permanence, avec qui il partage tous ses repas et le quotidien – sa femme et les filles mangent de leur côté la majeure partie du temps, sur l’estrade de la cuisine, à la manière khmer, alors que nous mangeons autour d’une table, assis sur des chaises. Les seules chaises ici sont d’ailleurs les 5 ou 6 nôtres. Ses filles, notamment Sidao, âgée de 8 ans est parfaitement bilingue. Elle est d’ailleurs souvent l’interprète pour Samon, sa maman, qui ne parle que quelques mots d’anglais même si elle le comprend un peu, quand Poeuy n’est pas disponible. Même Anneh, la plus jeune âgée de seulement 3 ans, comprend très bien l’anglais et le parle un peu.

Voilà donc dans quel cadre je vais passer les 2 semaines qui viennent pour lesquelles je me suis engagée. Mais déjà me trotte dans la tête l’idée de rester plus, quitte à ne rien voir d’autre du Cambodge puisque mon visa s’arrête le 12 avril. Voire même demander une extension de visa d’un mois, même si ça coûte un peu cher (50$ sur ce que je suis en train d’économiser avec ce mode de vie pour le moins spartiate, économies qui me permettront de profiter un peu plus en Australie et en Nouvelle-Zélande…). D’autant plus que le 13 avril débutent 3 jours de festivités pour la nouvelle année khmer, et que je suis très très tentée de voir ça… à suivre.

Parce que j’ai une fois de plus été très bavarde, et qu’il faut en garder pour les prochaines fois, je vous raconterai plus tard le déroulement des cours, assez hallucinant selon nos critères, ma participation à la préparation des repas, nos temps libres entre volontaires, et vous aurez des photos aussi…

Tout ce qui rend ma vie ici passionnante et intense.

En cadeau, ce tube khmer que les plus âgés des élèves écoutent en boucle sur leurs portables (eh oui, ici, comme en Inde, comme en Thaïlande, comme chez nous, ils sont tous connectés, la 4G est partout, le wifi aussi, et même les plus pauvres sont scotchés à leurs smartphones… je n’arrive pas à décider si c’est bien ou pas…). Vous allez voir, pour la chorégraphie c’est facile. Pas de soucis pour être prêt pour les fêtes du nouvel an.

 

 

 

7 commentaires sur « Jour 40 : Hello Teacher ! »

  1. Le clip 5 minutes tous les soirs doit être excellent pour la forme et la choré pas compliquée à retenir quand on rentre naze du boulot !!! Ici ce que tu sais c’est bien passé, enfin aussi bien que cela pouvait être, On a tous bu un coup à sa santé dans une salle des fêtes après et tout le monde s’est retrouvé et ça a fait du bien ! Allez professeur, travaille bien ! gros bisous

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  2. Toujours un régal de te lire.
    Bah voilà toi qui voulait être instit, tu prends du grade te voilà prof d’anglais 😃
    Je garde la suite de ton expérience pour demain… Bisousssss

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